Droits des salariés et autogestion – Jacques Brault – 1975

Droits des salariés et autogestion – Jacques Brault – 1975

Une conception passive de l’autogestion

Cet ouvrage de 1975, réalisé par un cadre du Parti socialiste, détaille une conception de mise en place de l’autogestion dans la France d’il y a quarante ans. Outre la définition d’une future Entreprise autogérée, la mise en œuvre de l’autogestion y est définie comme un processus démocratique dans laquelle la lutte des classes aurait totalement disparu. Une explication de l’abandon précoce du concept d’autogestion avant l’arrivée au pouvoir du Parti socialiste de 1981 ?

A l’heure où la gauche a le vent en poupe dans le cadre de ces élections présidentielles, il convient de revenir sur les débats des années 1970 concernant la transition au socialisme et la place de l’autogestion dans ce processus. C’est dans ce sens que l’Association pour l’Autogestion a remis en lumière les quinze thèses sur l’autogestion du Parti socialiste de 1975. Complémentaire à ces thèses, l’ouvrage Droits des salariés et autogestion de Jacques Brault aux Editions Tema-édition paru en 1975 et préfacé par Alain Savary, définit de façon plus précise comment la mise en place de l’autogestion dans les principales entreprises était envisagée.

L’entreprise autogérée

La première partie de l’ouvrage porte sur des droits nouveaux qui seraient donnés aux salariés dans les entreprises, pour rendre effective les lois déjà existantes et les prolonger. La deuxième partie porte sur l’entreprise autogérée. Il s’agit d’une entreprise de type totalement nouveau qui n’existait pas à l’époque (et n’existe d’ailleurs toujours pas) dans laquelle le principe directeur est la séparation entre la propriété et l’exploitation de l’entreprise. Selon cet auteur, l’entreprise autogérée s’interdit de disposer d’actifs de long terme (bâtiments, machines, équipements, brevets…) lesquels sont la propriété d’un Office National (ou Régional) des Entreprises Autogérées (ONEA ou OREA). L’entreprise autogérée ne conserverait dans son bilan que les stocks, les créances et les liquidités (à l’actif) et les diverses dettes qui financent ces actifs. Les actifs de long terme sont alors loués par les organismes publics (ONEA ou OREA) aux entreprises autogérées pour leur permettre de fonctionner. Les orientations de l’entreprise sont de facto données par le plan national ou sa déclinaison régionale par un Contrat de programme entre l’entreprise et les organismes du Plan. Les structures de décision de l’entreprise autogérée sont basées sur la prééminence de l’Assemblée générale des salariés (éventuellement relayée par un Conseil de gestion dans les grosses entreprises)  qui élit un Directoire, lequel travaille en collaboration avec un Comité permanent (Conseil de surveillance composé de représentants des collectivités locales, des consommateurs, de la planification, des syndicats…) et un Conseil de direction (apportant ses avis au Directoire).

Diverses remarques s’imposent à l’égard d’un tel dispositif. L’auteur ne considère nullement la SCOP ou d’une façon plus générale les coopératives comme étant des structures autogérées, l’essence de l’autogestion étant la séparation entre le pouvoir et la propriété : « Egalement, les coopératives, même celles restées strictement fidèles aux principes du mouvement coopératif, n’ont pas dissocié pouvoir et propriété ». Voilà un constat bien sévère pour des entreprises où le pouvoir n’est pas déterminé par l’apport en capital (application de la règle « une personne, une voix ») et dans lesquelles la faible rémunération des parts ouvre la voie à la constitution de réserves impartageables. Sévère mais ayant toutefois une part de vérité, les parts sociales coopératives restant de nature privée qui pose parfois un problème de constitution de capital en l’absence de contrepartie 1.

On peut se demander si cette séparation entre actifs de long terme (brevets, machines, immobilier…) et actifs de court terme (stocks, créances, liquidités) n’est pas un peu artificielle, ces actifs ayant tous besoin d’être financés de façon permanente, seule leur vitesse rotation changeant. Est-ce que la façon dont ses actifs sont financés (exprimée par la composition du passif) ne serait pas plutôt la bonne méthode ? C’est ainsi que nous avions considéré que les réserves impartageables des coopératives ainsi que divers financements publics au passif était une forme pertinente de l’appropriation collective des moyens de production (que n’est évidemment pas la part sociale coopérative). A ce sujet, la position de l’auteur est ambiguë quant à l’existence ou non de fonds propres. La description du passif de l’entreprise (page 78) ne comporte que des dettes, ce qui laisse supposer l’absence de fonds propres, immédiatement contredite : « L’actif et le passif seraient, à la fin de chaque exercice, équilibrés, soit par l’affectation du profit dégagé dans l’exercice si l’actif l’emporte sur le passif, soit par une subvention d’équilibre remboursable en un laps de temps déterminé si le passif l’emporte sur l’actif ». En clair, si les dettes 2 l’emportent sur l’actif, l’auteur envisage un prêt (certainement public) pour équilibrer dettes et actifs. Jusqu’à quand les pouvoirs publics financeront les pertes des entreprises autogérées ? Par contre, en cas de surplus, le terme d’affectation est loin d’être clair. Est-ce que ces fonds propres doivent servir à absorber de prochaines pertes ou être distribués aux salariés après constat comptable ? En cas de pertes et donc de « subvention d’équilibre remboursable », quelles sont les contreparties auxquelles l’entreprise devra s’engager ? L’auteur est hélas muet sur cette question qui est essentielle et porte sur les revenus des travailleurs.

La transition vers l’autogestion

La dernière partie de l’ouvrage traite du « passage à l’autogestion dans l’entreprise ». Selon lui, l’autogestion doit se réaliser de façon progressive, celle-ci concernant à terme 9 millions de salariés (sur un total de 16,5 millions en 1973) correspondant aux entreprises publiques et aux entreprises privées de plus de 50 salariés. L’auteur part de l’évidence formelle qu’« il ne saurait y avoir d’entreprise autogérée sans le consentement d’une majorité qualifiée de salariés ». Dans un tel cas, les biens de l’entreprise sont transférés à l’ONEA ou l’OREA qui les loue ensuite à l’entreprise. Y aura-t-il dédommagement des anciens propriétaires ? Si oui, sur quelles bases ? Dommage que l’auteur n’aborde pas ses questions tant elles sont importantes pour la réussite du projet d’autogestion, comme a pu en témoigner le coût des nationalisations de 1981.

C’est cette façon de concevoir la transition vers l’autogestion qui est vraiment surprenante dans ce livre. Alors que celle-ci est souvent le facteur d’une crise politique de grande ampleur (comme en 1936 en Espagne) ou de la crise d’une entreprise en particulier (Entreprises récupérées argentines ou nos exemples français en cours : Ceralep, SeaFrance, Fralib, Helio-Corbeil…), le passage à l’autogestion est ici décrit comme un processus tranquille dans lequel les salariés voteraient progressivement leur passage en autogestion. La réalité est cependant toute autre : l’autogestion apparaît en période de crise comme solution à un problème donné (le maintien de l’emploi par exemple). Elle peut aussi être le résultat de luttes sociales victorieuses dans lesquelles le capital se montre incapable de réaliser de nouveaux profits. Dans un tel cas, l’entreprise ne vaut plus grand chose, ce qui résout simplement la question de l’indemnisation des propriétaires… Mais ceci n’est nullement abordé.

L’autogestion disparaîtra de l’agenda du Parti socialiste quelques années avant 1981 et avec elle, la possibilité de gagner contre le capital, ce qui préfigurera le tournant de la rigueur dès juin 1982. Cela n’aurait peut-être pas été le cas si celle-ci avait été vue comme un instrument de lutte contre le capital et non la simple extension de la démocratie au champs économique.

  1. Et ce, quelle que soit la position que l’on prend, néoclassique (le taux d’intérêt équilibrant l’épargne et l’investissement) ou keynésienne (le taux d’intérêt comme prix du renoncement à la liquidité).
  2. Et non le passif qui, par définition, est toujours égal à l’actif.
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