Chicago : l’autogestion à sa fenêtre

Chicago : l’autogestion à sa fenêtre

Fin 2008, les 250 salariés de l’entreprise Republic Windows and Doors, située à Goose Island., près de Chicago, qui produit des portes coulissantes et des fenêtres, ont vu le ciel leur tomber sur la tête. Ils furent licenciés, du jour au lendemain, sans préavis et au mépris des lois sociales, sans indemnités ni paiement de leur salaire. À ce moment particulier de la de crise financière et bancaire qui secouait le capitalisme mondialisé, on estime à 500 000 le nombre de licenciements mensuels qui frappait la force de travail américaine. La direction prétexta que la Bank of America lui avait coupé le robinet des crédits. Cependant les salariés soupçonnèrent très vite une faillite organisée qui cachait une délocalisation.

 

Le 5 décembre 2008, le syndicat de l’entreprise, la section 1110 de l’United Electrical Workers décida très vite une occupation du site de production qui dura six jours. L’occupation de l’entreprise attira l’attention des médias nationaux. Le président Obama, qui avait été élu un mois plus tôt, déclara que les travailleurs de Republic Windows and Doors avaient raison de se battre pour leurs droits. La machine démocrate se mit alors en marche et le gouverneur de l’Illinois Rod Blagojevich, dont Chicago est la troisième ville, annonça interdire toute activité financière de l’État avec la Bank of America en raison de son abandon de la société. Cependant, un mois plus tard, cette même banque bénéficiera de 20 milliards de dollars de renflouement du gouvernement fédéral démocrate pour la sauver de la catastrophe financière (précédemment Republic Windows and Doors, quant à elle, avait touché 10 millions de dollars de subventions). De son côté, le procureur général Lisa Madigan lança une enquête, non aboutie à ce jour, sur les violations du droit du travail de Republic Windows and Doors. Des rassemblements militants pour dénoncer la banque prédatrice eurent lieu devant les agences de la Bank of America dans une douzaine de villes. Le 10 décembre, les salariés votèrent la fin de l’occupation après que le syndicat ait conclu un accord avec Republic, Bank of America, JPMorgan Chase selon lequel chaque travailleur recevrait huit semaines de salaires plus le paiement des congés payés et l’obtention d’une couverture maladie pendant deux mois. Sous la pression de la mobilisation, la Bank of America accepta, par ailleurs, des délais de paiement le temps de retrouver un repreneur et rétablit donc momentanément les lignes de crédit à Republic Windows and Doors. Deux mois plus tard, un fabricant californien de fenêtres, Serious Materials (aujourd’hui Serious Energy) racheta l’entreprise pour 1,45 million de dollars et ré-ouvra le site avec pratiquement la même convention sociale pour les salariés. En avril 2009, le vice-président Joe Biden visita l’usine et rencontra la direction ainsi que les dirigeants syndicaux se félicitant de cette issue. Parmi les investisseurs du projet de reprise figurait Mesirow Financial, une société de Chicago, qui avait des liens étroits avec Rham Emmanuel (démocrate qui sera élu maire de Chicago en 2011) et qui apporta 15 millions de dollars à Serious Energy. L’avenir s’annonçait radieux puisque des promesses de commandes de l’État fédéral ou de municipalités se multipliaient…… sans qu’aucune ne soient matérialisées à ce jour.

En février 2012, la direction de Serious Energy annonça subitement la fermeture immédiate de la société et la vente du matériel de production. Cette décision inattendue empruntait les mêmes méthodes que les travailleurs avaient connues quatre ans plus tôt. Le 23 février 2012, les travailleurs et leur section 1110 occupèrent de nouveau l’entreprise pendant onze heures. Immédiatement, un réseau de différents mouvements planta ses tentes autour de l’entreprise pour soutenir les travailleurs dont les militants d’Occupy Chicago alors en plein développement.

Sur les 250 salariés à l’origine dont la plupart étaient employés depuis plusieurs dizaines d’années et 80 % d’origine hispanique, Serious Energy n’en n’avait conservé que 75, et seuls 38 étaient encore employés à la fermeture de 2012. Dans ce rapport de force dégradé, le syndicat négocia 90 jours d’emploi avant la fermeture du site.

Cependant, en mai 2009, Armando Robbes, président de la section syndicale et Leah Fired un travailleur de Republic, avaient participé à une tournée de meetings dans le pays. Ils s’étaient notamment rendus dans les studios de GRITtv, une télévision progressiste sur internet, où ils avaient participé à un débat avec Naomie Klein et Avi Lewis qui avaient présenté leur film The Take sur les entreprises récupérées et autogérées en Argentine. Ces derniers avaient également introduit Fried et Robles auprès de The Working World, une association financière non lucrative de New York qui se consacre à financer le montage de coopératives, y compris en Amérique latine. Le contact pris, les échanges furent nombreux et intenses entre les syndicalistes et l’association. Ils ne seront pas sans suite trois ans plus tard.

Et lorsque la seconde fermeture fut annoncée, Robles déclara tranquillement « Si personne n’achète la société, nous pouvons créer une coopérative ».

Dans un premier temps, un droit de préemption sur les machines de l’entreprise fut négocié et Serious Energy accepta de les céder. Le 30 mai 2012, les 22 ex-salariés de Serious Energy se constituent en coopérative et offrent à Serious Energy de racheter la société 1,20 million de dollars. Ils décident une égalité de salaire dans la future entreprise qu’ils nomment New Era Windows et s’attribuent un droit de vote égal dans les prises de décision. Ils s’engagent à verser chacun et chacune 1 000 dollars au capital de la société. 500 000 autres dollars étant apportés par The Working World. Avec l’aide du Center for Work Place Democracy, une association de soutien au mouvement coopératif basée à Chicago, une formation à la gestion d’une entreprise est dispensée aux coopérants dans les locaux du syndicat. Les travailleurs organisent eux-mêmes le déménagement du site de production dans un ancien immeuble de Campbell’s Soup à Chicago, ce qui permet d’économiser d’importants frais de loyer. A terme, ce sont 80 salariés qui devraient rejoindre la coopérative.

Si la majorité des coopératives aux États-Unis sont des coopératives de consommateurs (92 % selon l’université du Wisconsin), ils existent actuellement 300 coopératives de production détenues par leurs salariés. Denis Kelleher du Center for Workplace Democracy se réjouit de la naissance de New Era Windows : « Chicago a une très riche histoire de coopératives ouvrières. Au 19e siècle, la plupart des organisations syndicales étaient engagées dans ce mouvement. Après la disparition des Knights of Labor 1, la plupart des coopératives succombèrent. Mais l’histoire revient. Aujourd’hui, il y a quelques coopératives à Chicago et nous travaillons pour elles au Center for Workplace Democracy. Nous voulons développer cette économie ». Melvin « Ricky » Maclin, qui popularise dans différentes villes du pays le projet de New Era Windows et encourage d’autres travailleurs à faire de même, ajoute : « Nous avons décidé de faire la coopérative parce que nous sommes fatigués que notre vie soit entre les mains de quelqu’un d’autre ».

Sur le site internet de vente de fenêtres, New Era Windows, les nouveaux coopérants reviennent sur leur histoire : « En 2008, le patron a décidé de fermer notre entreprise de fenêtre à Goose Island et a mis à la porte tout le monde. En 2012, nous avons décidé d’acheter l’entreprise et de licencier le patron. Nous détenons ensemble l’usine et la dirigeons démocratiquement. Voila notre histoire… Aujourd’hui, nous avons monté cette coopérative ensemble et nous avons décidé de l’appeler New Era, car nous espérons que cela sera une source d’inspiration sur comment on peut créer du travail en Amérique. Chacun peut participer à la construction de l’économie que nous voulons et personne ne doit être traité en élément éphémère ou juste comme du matériel brut pour le business de quelqu’un d’autre.

Nous fabriquons la meilleure qualité de fenêtres à Chicago ; elles possèdent une excellente isolation au bruit et d’un point de vue énergétique sont très efficaces, ce qui montre que l’écologie peut être permettre d’économiser de l’argent. Nos fenêtres sont les meilleures sur le marché à un prix imbattable.

Nos ventes ont commencé en 2013. Nous participons au soutien de notre communauté, pour préserver la qualité des emplois en Amérique et renforcer notre économie. Soutenez-nous et jetez un coup d’œil sur nos fenêtres. Nous savons que vous les apprécierez et vous recommanderez-les à vos amis. Si nous pouvons travailler ensemble, et nous prouvons que nous le pouvons, nous croyons fortement que l’avenir peut être bien meilleur. »

Vidéo en anglais sur New Era Windows

Autre vidéo en anglais sur New Era Windows