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1971 : Grève active à la Clyde

Le gouvernement conservateur d’Edward Heath décide de fermer les chantiers navals de Glasgow dont l’État est actionnaire significatif. Les salariés prennent alors le contrôle de l’entreprise et honorent le carnet de commande en cours. Après 16 mois de lutte, le gouvernement cédera et apportera les fonds nécessaires à la poursuite de l’activité.

Les chantiers navals écossais de l’Upper Clyde Shipbuilders (UCS) sont nés en 1968 de la fusion de plusieurs entreprises. L’État détenait 48,40 % des actions. En 1971, le gouvernement conservateur d’Edward Heath annonça refuser soutenir plus avant ce « canard boiteux ». Après le refus du gouvernement d’apporter un soutien financier à l’entreprise, celle-ci entra dans une procédure de liquidation, bien que son carnet de commandes était rempli. Le même gouvernement de droite qui nationalisera, dans la même période, Rolls-Royce pour la sauver de la faillite.

Sur les chantiers, 6 000 emplois sur 8 5000 devaient être supprimés. De plus, 10 à 20 000 travailleurs employés chez des sous-traitants étaient concernés. Du côté syndical, pour s’opposer à la fermeture des chantiers, plutôt que de s’engager dans la grève, forme traditionnelle d’action, il fut choisi d’entamer une « grève active » et de réaliser le carnet de commande. Cette stratégie audacieuse avait été initiée par un groupe de jeunes délégués dont Jimmy Reid, Jimmy Airlie, Sammy Gilmore, et Sammy Barr, dont certains étaient membres du parti communiste, bien, que ce dernier s’opposait à l’autogestion. L’idée était de démontrer en pratique la viabilité de l’entreprise et surtout que celle-ci pouvait continuer à fonctionner sous gestion ouvrière. La décision est prise le 13 juin 1971 au cours de la rencontre de 200 délégués. Devant une foule innombrable des travailleurs des chantiers, Jimmy Reid déclare :

« Nous n’allons pas faire grève. Nous n’allons pas faire grève avec occupation. Rien ni personne ne rentrera, ni ne sortira sans notre permission. Et il n’y aura ni hooliganisme, ni vandalisme, il n’y aura pas d’ivrognerie, car le monde nous regarde. Le monde est témoin de la nouvelle tactique des travailleurs. »

Étrangement, ces paroles ressemblent à ce que devait dire trente ans plus tard, un autre ouvrier d’un chantier naval situé plus de mille kilomètres à l’est. Cela se passait lors de l’occupation chantier naval de Gdansk (Pologne) avec Lech Walesa, futur dirigeant du syndicat Solidarnosc promoteur d’un projet de République autogérée.

Prise de controle

Le 29 juillet 1971, le gouvernement déclare sa décision de fermeture des chantiers irréversible. Le lendemain, la prise de contrôle ouvrier des chantiers prend effet. Les gardiens des portes des chantiers sont alors informés de la nouvelle situation. Toute entrée ou sortie est désormais sous la supervision des délégués des travailleurs. La police, prudente,  déclare ne pas vouloir intervenir.

Un comité de coordination réunit les délégués des chantiers qui représentent tous les métiers de l’entreprise, y compris les services administratifs. D’autres réunions de délégués avaient lieu par secteur d’activité. Les décisions concernant les orientations générales de la lutte étaient prises dans des assemblées plus larges. Les 300 travailleurs qui avaient été, d’ores et déjà,  déclarés licenciés continuaient à travailler sous la responsabilité des délégués. Leurs salaires leur étaient versés par le comité financier de la lutte, même si le refus des licenciements était une revendication centrale du mouvement. Soutenir cette lutte qui était devenue un enjeu national pour le mouvement ouvrier, les membres des syndicats de toute la Grande Bretagne versaient 50 pence par semaine à un fonds de soutien aux Clyde. Le comité des délégués contrôlait, par ailleurs, le bon versement des paies de ceux qui étaient encore sous contrat avec la Clyde. Les bateaux continuaient ainsi d’être construits sous le contrôle des travailleurs.

Ce choix déconcertant de lutte gagna également la sympathie de la ville de Glasgow, où étaient situés les chantiers navals, et une des manifestations de soutien rassembla 80 000 personnes. John Lennon apporta 5 000 £ à la caisse de soutien à la lutte. La stratégie était d’étendre le conflit hors de l’entreprise pour construire un rapport de force avec le gouvernement et qu’il irrigue toute la société écossaise. Par exemple, lors de l’élection du recteur de l’université de Glasgow, les étudiants présentèrent la candidature de  Jimmy Reid, un des animateurs de la lutte 1 qui fut élu contre deux « personnalités universitaires distinguées » et exercera, par la suite, cette fonction universitaire.

Les liquidateurs des chantiers navals, qui étaient sur place, durent accepter l’occupation de l’entreprise. Ils devaient s’apercevoir, eux aussi, très vite, que le chantier naval était passé le controle de travailleurs qui s’exercera de juillet 1971 à novembre 1972. De fait, leur tâche était devenue impossible.

Qui était réellement propriétaire de l’entreprise ? Une situation de double pouvoir s’était instaurée dans l’entreprise. Une forme d’appropriation sociale rampante et partielle se construisait au fur et à mesure que les travailleurs exerçaient un pouvoir, tout nouveau pour eux, sur l’entreprise. Une nouvelle légalité sur le droit de propriété des moyens de production s’était instaurée. Une forme de démembrement de celui-ci par lequel les travailleurs se considéraient légitimes à disposer du droit de gestion de l’outil de travail et dont les propriétaires, de facto, étaient dépouillés. Il n’est pas question de magnifier la nature de la lutte. Les carnets de commandes dépendaient des entreprises capitalistes et le Royaume Uni ne connaissait pas un processus de transformation sociale. Cependant, l’expérience de la Clyde constitue bien ce temps germe qui inspire et même éduque une classe dominée sur ses capacités et son pouvoir de prendre les postes de commande pour au bout du processus, fait d’avancées et de reculs, constituer une alternative révolutionnaire à la société capitaliste.

Après 16 mois de lutte, le gouvernement conservateur accepta de soutenir l’UCS (35 millions de £  d’aide). La liquidation est abandonnée et les emplois sauvés. Plus tard, l’entreprise fut alors restructurée et séparée en deux entités. Deux chantiers sur trois restèrent en activité. En 1977, le gouvernement travailliste d’Harold Wilson nationalisera les chantiers navals, revendication des travailleurs.

Jimmy Reid (1932-2010). Militant syndical, figure emblématique du mouvement, membre du parti communiste au moment de la lutte de la Clyde, il rejoint plus tard le parti travailliste puis le Scottish National Party en  2005 et soutient l’indépendance écossaise.

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